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Cerfo

 

Cerfo

 

 

Le mot cerf de cerf-volant n'a aucun rapport avec un cerf, mais avec un serp, un serpent en français d'autrefois, une des premières formes que les anciens chinois donnaient à ces fantaisies volantes dont ils furent les inventeurs et qui avaient aussi parfois des allures de dragon ; ce qui n'empêche pas naturellement qu'il puisse y avoir des cerfs-volants en forme de cerf.

Ni cerf, ni serpent, ni dragon, incapables de telles sophistications, nous nous étions contentés, mon frère et moi, de confectionner un cerf-volant en simple losange allongé, avec une voilure et une longue queue de papier de couleurs, un croisillon de bambou pour l'armature et de la ficelle bien résistante pour le bridage ; puis, nous nous employâmes à le faire voler dans le jardin où j'avais, en tant que fille, le rôle mineur de tenir sans retenir notre cerf-volant pour que mon frère, à quelques pas et bien en face de moi, en tirant d'un coup sec sur la ligne, provoque un premier élan qui, suivi d'un tirer-relâcher bien rythmé, imprimerait à notre jouet l'envie de monter ; car c'est ainsi, par ce mouvement, que l'on fabrique le vent quand on vient à en manquer, et c'est ainsi que notre cerf-volant s'éleva d'abord d'une dizaine de mètres, puis, après une boucle gracieuse, encore plus haut et, en ondulations chorégraphiques, beaucoup plus haut encore.

Quand mon frère m'accorda enfin le droit de piloter, une rafale vint à mon aide, mais si forte que nous faillîmes perdre de vue notre cerf-volant entre les nuages, ce qui nous décida à le ramener. A mesure qu'il se rapprochait de nous, nous vîmes qu'il portait quelque chose sur la pointe, et nous reconnûmes bientôt un ange pas plus grand qu'une main, mais avec tout ce qu'il faut en matière d'ailes et boucles ; en nous découvrant à son tour, il poussa un cri et nous aussi et alors il se volatilisa, mais il se manifesta à nouveau après quelques instants et en nous revoyant il repoussa un cri et nous aussi, puis il se volatilisa, jusqu'à ce que pour tenter une approche je lui dise que je m'appelais Adaluz et que mon frère s'appelait Félix et alors il cessa ses intermittences et comme il ne disait rien, nous décidâmes qu'il s'appellerait Cerfo.

Pendant un bon moment, assis tous les trois sur l'herbe à nous regarder, il ne se passa plus rien d'intéressant, et nous commencions à bailler, puis à avoir faim, quand soudainement il parla de sa voix infime : nous nous penchâmes vers lui pour l'entendre nous dire qu'il voulait reprendre sa promenade sur notre cerf-volant et aller ramener de là-haut des collègues, ce à quoi nous lui répondîmes que notre cerf-volant n'était pas un autobus et qu'il n'y avait sans doute pas de place pour tout ce monde ; mais alors, il fit un petit vol pour se poser sur mon épaule et faisant signe à mon frère de s'approcher davantage, il nous dévoila à l'oreille et dans le plus grand secret combien d'anges pouvaient se tenir debout sur la tête d'une épingle et combien sur la pointe d'une aiguille.

S'il était très difficile de calculer l'énormité d'anges que côtoient sans le savoir les couturières, une simple règle de trois suffit dans notre cas pour nous mettre d'accord avec Cerfo que nous acceptâmes de remonter sur notre cerf-volant qui redescendit ensuite apparemment vide, mais chargé en réalité d'une foule invisible d'anges en promenade.

 

mars 2013  

 

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